Le big business de la tomate

Le big business de la tomate

Guy a décidé de manger des tomates de supermarché en plein hiver ! En lui révélant les dessous de la culture industrielle de la tomate, Azade va lui en faire passer l’envie définitivement…

Coulisses de l’épisode et sources d’Azade, épisode 4

Il était une fois…

Le bassin d’origine des différentes espèces tomates va du Mexique jusqu’au Chili via les Galapagos.

Au départ, il y a une dizaine d’espèces différentes. L’ancêtre de « notre » tomate serait Lycopersicum esculentum cerasiforme, c’est à dire l’actuelle tomate-cerise, issue des Andes péruviennes.

Elle aurait été introduite au Mexique par les Aztèques, d’où vient son nom en nahuatl : tomalt. Les descriptions du XVIe siècle indiquent que son fruit était plutôt orangé et gros comme une bille.

Gravure de 1585 issue de ce diaporama de l’INRA sur la tomate

Un débat existe sur son véritable lieu de domestication. Des sources affirment que les Conquistadores rapportent du Mexique une diversité de tomates déjà cultivées. D’autres avancent qu’il faut attendre son introduction en Europe pour que ce fruit acide au gout alors inconnu soit domestiqué, en particulier en Italie.

A la fois résumé historique et coup de gueule, Jean-Luc Daneyrolles, du Jardin d’un curieux et membre du réseau semences paysannes, raconte l’épopée de la tomate .

Malsaine et dangereuse…

En tous cas, ce n’est pas tout de suite le franc succès, en particulier dans notre pays ! Si certains l’appellent « pomme d’or », d’autres la nomment « pomme malsaine » et le grand botaniste Carl Von Linné la baptise « pêche de loup » (solanum lycopersicum, lire aussi le mini épisode 1 bis, c’est quoi ton petit nom ?). La tomate a pour défaut de partager le même genre botanique que la mandragore, les solanacées. Les savants et les religieux la considèrent aussi dangereuse que sa sulfureuse cousine et mettent en garde contre sa consommation.

Illustration réalisée par un pharmacien de Nuremberg, Basil Besler (1561-1629).

… mais décorative !

Olivier de Serres, le « père de l’agronomie française » la préconise comme plante… d’agrément : ses « fruits ne sont pas bons à manger, seulement sont-ils utiles en médecine et plaisants à manier et flairer ».

Jusqu’en 1760, la tomate figure comme plante ornementale dans le catalogue de semences Vilmorin-Andrieux. Il faut attendre 1778 pour qu’elle apparaisse dans la catégorie des légumes.

C’est parti pour la conquête du monde

La tomate commence cependant à être adoptée en Provence dès le 17e siècle, puis plus largement au 18e siècle. Elle est découverte par les Parisiens à la Révolution française, est cultivée en Ile-de-France à partir de 1830 et courante sur les étals de la capitale à partir des années 1860.

Pour tous les aspects historiques, on peut se reporter à deux ouvrages : la partie sur la tomate écrite par Jean-Luc Daneyrolles dans l’Encyclopédie du Potager, chez Actes Sud, ainsi que l’article de Philippe Marchenay, Jacques Barrau et Laurence Bérard (que je salue au passage) : « Polenta, cassoulet et piperade, l’introduction des plantes du Nouveau Monde dans les cuisines régionales », publié dans Revue d’ethnobiologie 2000-2004, vol.42.

A partir du 19e siècle, la tomate commence à conquérir le monde. En 1820,  l’américain Robert Gibbon Johnson, imitant Antoine Parmentier, se montre en train de croquer publiquement à pleine dents dans une tomate à Salem (New-Jersey) pour démontrer que, contrairement aux affirmations en cours, ce n’était pas un fruit empoisonné ! (lire l’article du Monde à ce propos).

Pour le meilleur et surtout le pire

Puis c’est l’essor de l’industrie de la tomate sous l’impulsion d’Henry John Heinz, l’inventeur du ketchup et… du pire du capitalisme. « Quand nous pensons au début du taylorisme, notre imaginaire nous renvoie l’image d’hommes suant sur les chaînes automobiles. Pourtant, les ouvrières des conserveries Heinz ont elles aussi connu les cadences infernales, les accidents, la violence de cette organisation du travail », explique Jean-Baptiste Malet, auteur de L’empire de l’or rouge, aux éditions Fayard. On peut lire ses propos notamment ici et .

Image tirée des archives de la compagnie Heinz

Numéro 1 partout !

Aujourd’hui, la tomate est le premier légume produit et consommé au monde ! Les chiffres de la FAO, l’organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture, sur la production de tomates depuis 1961, sont disponibles sur sa base de données (attention, c’est un peu sportif : il faut savoir manier l’extraction de data…).

Plus accessible : la synthèse sur la production en France et dans le monde… Où on apprend que rendement moyen aux Pays-Bas a été de 50,7 kilos par mètre carré (!!!), six fois plus que celui de l’Espagne, avec 8,62 kg/m2.

Une plante de soleil qui ne le voit pas souvent…

Les principales zones de production en Europe sont l’Espagne, puis les Pays-Bas et l’Italie. En France, la région du Grand Ouest (Bretagne et Basse Normandie), est le premier bassin de production de tomate destinée au frais. Il représente près de 39 % du total national avec 242 300 tonnes en 2016 et une augmentation sur un an de plus de 9 % : voici le bilan 2017.

L’équipe de la chaîne YouTube Le Tatou a fait un reportage édifiant dans le « désert de serres » du sud de l’Espagne, en Andalousie, dans la région d’Almeria, d’où viennent nos tomates d’hiver.

Très instructif aussi, ce reportage de Ouest-France dans une serre expérimentale de 5 000 m2 à Guivapas (on est dans la banlieue de Brest) :  99 % des plants y sont cultivés en hydroponie, où la terre est remplacée par un substrat stérile : ici de la fibre de noix de coco du Sri Lanka…

En France, la quasi-totalité des tomates pour le marché du frais sont cultivées sous serre. Les derniers chiffres 2018 sont disponible ici.

Vous saurez tout sur la culture sous serre dans cette vidéo qui en dit tout le bien possible (et plus encore), produite par l’association « Tomates et concombres de nos régions ».

Concentration dans le concentré

La Morning Star (Etats-Unis) et Tunhe (Chine) puis Chalkis (Chine), sont les trois plus grandes entreprises de transformation du monde (source : Tomato News, le site officiel de la tomate dans le monde !) .

Le scandale du concentré « italien » ou « français » en réalité chinois est raconté , ainsi que dans l’ouvrage de Jean-Baptiste Malet et son documentaire (l’interview de l’auteur sur TV5 Monde est à regarder là.

Ci-dessous la bande annonce du documentaire :

Le marché juteux des graines

La France est le premier pays producteur de semences en Europe (source : union française des semenciers, l’UFS). La première espèce est la tomate avec 1,4 million de tonnes, sur une production mondiale de semences de 21,5 millions de tonnes (une tonne de GRAINES DE TOMATES, vous imaginez ?). Le leader français est Vilmorin-Limagrain, pour qui la tomate est une espèce « stratégique ».

Le nombre de variétés dans les collections des entreprises françaises est estimé à 15 000 pour les tomates. Lire ici, et , les données officielles du groupement national interprofessionnel des semences et des plants, le GNIS.

Le chiffre d’affaires annuel du marché de la semence en France est de 3,36 milliards €.

Une lithographie de Vimorin-Andrieux, de 1950.

L’essentiel du marché de la semence de tomate de grande culture est contrôlé par Syngenta (Suisse, qui a fusionné avec le chinois ChemChina), Vilmorin-Limagrain (France), Bayer (Allemand – qui a racheté Monsanto – Etats-Unis), et plus marginalement, un nouveau venu sur le secteur, BASF, qui a repris une partie de l’activité de Bayer sur les semences.

A noter : selon Les Echos, Vilmorin n’a pas hésité à aller « taquiner » Monsanto sur le marché des semences potagères : même pas peur !

Après le rachat de Monsanto par Bayer, trois firmes au lieu de six ont la main sur près des deux tiers des semences, comme le souligne cet article d’Alternatives Economiques.

Mince, on a perdu le goût !

Les premiers hybrides F1 de tomates sont commercialisés en France à partir des années 50 (lire à ce propos l’article de Michel Chauvet, histoire des légumes cultivés en France).

Les variétés régionales ont ainsi peu à peu été perdues, comme le raconte Terra Eco.

 » Lorsque la sélection des variétés de tomate a été organisée à partir des années 50, elle ne s’est pas préoccupée du goût « , reconnaît Mathilde Causse directrice de recherche au GAFL (laboratoire Génétique et amélioration des fruits et légumes, Inra, Avignon) dans Sciences et avenir.

Depuis, on n’a pas tellement fait mieux. Les progrès contemporains de la génétique qui ont permis l’augmenter les rendements, la conservation ou la qualité esthétique des tomates, ont tous eu le même résultat. Lire ici et .

Le retour du goût de la tomate, régulièrement annoncé et espéré, ce n’est pas pour demain ! Même si maintenant on essaie de réactiver… les gènes des tomates anciennes (voir notamment ces articles en anglais et en français et ).

Semez des graines !