Cachez ce sexe…

Cachez ce sexe…

Pendant des siècles, il a été inconcevable que les fleurs, symbole de pureté, soient les organes sexuels des plantes. Voici comment on l’a découvert… il n’y a pas si longtemps !

Coulisses de l’épisode et sources d’Azade, épisode 7

C’est en faisant des recherches sur la création de nouvelles variétés de plantes que je suis tombée sur cette information étonnante : ce que tous les enfants savent, que les plantes sont pollinisées par les insectes, était totalement inconnu et même a fait scandale pendant des siècles !

Pourquoi ? Parce que pendant tout ce temps, les présupposés et les religions, antiques puis chrétienne, ont empêché ou discrédité les apports de la science. Certes, Théophraste (371-288 av JC) avait eu une bonne intuition quand il décrit le pollen (« la poussière ») des palmiers-dattiers mâles qui fécondent les arbres femelles (« l’arbre qui porte les fruits ») mais il avait dit tellement de bêtises par ailleurs que personne ne l’a cru.

Le regretté Jean-Marie Pelt le racontait avec sa gourmandise des mots en 1985 dans l’émission Histoires de plantes.

Cette contribution parue dans la Société Linéenne de Lyon en 1884 fait un panorama assez complet – et involontairement fort drôle – des conceptions délirantes autour de la notion de plantes « mâles » et « femelles ». Les chercheuses Marine Bretin-Chabrol et Claudine Leduc analysent cette question ici, dans la revue Clio en 2009.

Ces conceptions perdurent jusque dans les dénominations toujours en usage. Les orchis, qui sont les orchidées sauvages de nos climats, ont été désignées ainsi en raison de la forme de leur racines (du grec orchidion = testicules). Dans la bande : l’orchis mâle, Orchis mascula, à qui il était prêté des vertus aphrodisiaques (pardi !).

Même le grand Carl Von Linné (1707-1778), inventeur de la nomenclature binominale des plantes, a appelé un pois Clitoria ternatea. On vous laisse deviner pourquoi.

Au delà de ces considérations fantaisistes sur la nature femelle ou mâle des plantes, la notion même de sexualité végétale est restée incomprise et tout simplement inimaginable jusqu’aux 18e et 19e siècles !

Retrouvons à nouveau Jean-Marie Pelt, qui s’interroge : on offre des roses pour faire plaisir aux gens mais leur offrirait-on de la même manière le sexe d’un taureau ou la vulve d’une chatte ?

Pendant les fêtes païennes, le peuple rendait hommage à la déesse Flore, la déesse de l’amour chez les végétaux.. Les floralies qui, à partir de – 173 av JC, marquent chaque printemps, sont célébrées avec moult libations et dans une ambiance volontiers coquine….Avant que le clergé et les philosophes y mettent bon ordre en décrétant que les fleurs sont le symbole de la virginité et que la graine est produite sans fécondation.

Le Printemps de Botticelli, avec la déesse Flore enceinte (en robe à… fleurs)

Il faut attendre très, très longtemps pour que la science s’intéresse à la reproduction des plantes, une fois débarrassée des oeillères de la morale ou de la religion.

La chronique du livre de Dominique Brancher Quand l’esprit vient aux plantes. Botanique sensible et subversion libertine (XVIe-XVIIe siècles),, dans le journal suisse Le temps, ici, fait un bon résumé de l’évolution de la recherche et de la pensée. A lire aussi ce post très documenté sur la reconnaissance des « ébats » et de « l’intimité fougueuse des fleurs ».

Deux livres facilement accessibles relatent toute l’épopée de cette découverte. Le plus agréable à lire, grâce en particulier à son abondante iconographie, est l’excellent ouvrage de Fleur Daugey, Les plantes ont-elles un sexe ? Histoire d’une découverte, aux éditions Ulmer. L’autre est celui de Jean-Marie Pelt (qui reprend une partie de ses propos dans les émissions de radio indiquées plus haut) : Les plantes : amours et civilisations végétales, aux éditions Fayard, malheureusement dépourvu d’illustrations.

Nonnes récoltant des pénis, dans la marge d’un exemplaire du Roman de la Rose, 14e siècle, conservé à la BNF

Ce récit est aussi détaillé dans ces deux articles du Bulletin de la société botanique des Deux-Sèvres, en 1935 et 1936, ici et là. Ainsi que dans L’ Histoire du développement de la biologie, volume 2, de H.C.D. De Wit et André Baudière, aux éditions des Presses polytechniques et universitaires romandes.

La bataille entre les ovistes (ou préformationnistes) et les séministes (ou animalculistes) est racontée en particulier dans les premières pages de l’ouvrage technique Histoire de la génétique et de l’amélioration des plantes, d’André Gallais, aux éditions Quae.

Une vidéo (soyez indulgents avec la mise en scène assez tarte de l’introduction) présente l’histoire du pistachier de Vaillant, arbre toujours vivant au jardin des plantes.

A lire également, cet article universitaire sur la vision de la sexualité végétale au siècle des Lumières.

Signe que la reproduction des plantes est toujours un sujet délicat, les cours basés sur les travaux de Linné, en particulier son son « système sexuel », sont fermés aux femmes, pendant que se développe une « botanique pour dames » expurgée de tout ce qui pourrait mettre en péril leur moralité… Deux articles universitaires expliquent cet épisode peu connu de l’histoire des sciences, ici, et là.

A contrario, il y a aussi ce que l’historienne britannique Janet Browne appelle avec humour la botanique pour « messieurs », portée par le naturaliste Erasmus Darwin (1731-1802), naturaliste et grand-père de Charles, présentée ici (article en anglais). Lire enfin ce papier du New-York Times de 2007 célébrant le 300e anniversaire de la naissance de Linné et sa « botanique pornographique » (en anglais).

Semez des graines !